L’apologie de l’échec

Pour quelqu’un doté d’un esprit compétitif et focusé sur les résultats, le choix du titre peut surprendre. C’est à se demander pourquoi voudrait-on échouer? En fait, jusqu’à tout récemment, c’est la réaction que j’aurais eue. Combien de fois j’ai retardé un projet, évité un défi, préféré l’abandon en cours d’exécution au lieu de vivre l’échec. L’échec, ce sentiment et état de fait qui confirme, sans l’ombre d’un doute, qu’on failli à la tâche.

C’est en regardant ce vidéo que j’ai compris que je faisais fausse route. Totalement. Faites-vous plaisir et prenez le temps de le visionner au complet : 6 minutes qui en valent la peine.

Why do we fall

L’échec fait partie intégrante de la formation et de l’évolution d’un athlète. C’est à travers l’échec qu’on apprend, que l’on reconnaît nos faiblesses, nos erreurs. Vivre l’échec, c’est dur sur le moral. Mais l’échec n’est pas une fin en soi, c’est une étape. On doit l’apprivoiser, l’analyser, le comprendre, en tirer des leçons et continuer. On doit se relever et continuer. Car il y a pire que l’échec; il y a l’abandon. L’abandon, c’est la fuite, la crainte de faire face à ce qui nous attend, ce qui nous fait peur. Pire, l’abandon nous laisse sur notre faim – aurions-nous été capable de réussir? De finir? Jamais on ne le saura. L’abandon peut être viscéral, ouvrant la possibilité à chaque occasion difficile de laisser tomber. L’acceptation de l’échec comme étant une étape dans notre parcours pour atteindre notre objectif ultime est ce qui, à mon avis, caractérise les meilleurs compétiteurs et forge une qualité primordiale : l’humilité.

C’est donc en toute humilité que je vous ferai part de ma dernière course qui fut, un échec retentissant.

Le prologue

Dans ma préparation pour mon Marathon des Sables 2016, la participation au XC de la Vallée se voulait une excellente étape. Reconnu comme l’un sinon le parcours de trail le plus difficile au Québec avec ses 35km et ses 1455 mètres de dénivelé, il offrait d’excellents attributs : relances continuelles, « single track » à plus de 90%, parcours très accidenté, endroit isolé. Un mix parfait pour s’endurcir.

Mais voilà, le 15 août arrive à grands pas et le doute commence à s’installer deux semaines avant l’épreuve : ma préparation est déficiente et inadéquate, la météo précédant l’épreuve annonce de la pluie… beaucoup de pluie. En plus, j’apprends que le parcours sera de 38km et non pas 35km. En partageant mes appréhensions avec mon entourage, certains me disent de laisser tomber : trop dangereux, pas besoin de te prouver à toi-même,… D’autres m’encouragent affirmant que je suis capable, que je suis quelqu’un déterminé et que je ne dois pas me laisser abattre. Mon choix est fait – j’y vais. Malheureusement, mon esprit n’est pas prêt : inconsciemment, je doute. De plus, je vis une semaine difficile et stressante; plus je me rapprochais du jour de la course, plus j’angoissais. Je décide de m’isoler, éliminant toute source de stress, au détriment de personnes très chères. Et pourquoi? Parce que je craignais l’échec, parce que j’avais une petite voix à l’intérieur de moi qui me disait : « Laisse tomber, abandonne… ». Peu importe, je prends la route vendredi à 18:00 vers Québec, seul dans le camion, accompagné par la musique. On dit que cela adoucit les mœurs…

Le discours de motivation – ou comment tourner le fer dans la plaie

Samedi matin, 6:00. Le cadran sonne après une nuit relativement paisible dans une chouette auberge – L’Auberge la Bastide. Bonne nouvelle : je me sens prêt pour la course et pour l’occasion, je décide d’eXC Vallee 2015 - Depart autobusssayer le sac que j’utiliserai pendant le MDS avec une charge totale de 5kg. Une bonne idée au départ mais dans l’absolu, l’occasion n’était pas la meilleure. C’est en route vers le site que je prends la mesure de ce qui nous attend : les paysages ne sont que forêts et montagnes, nappés de brouillard. Je récupère mon dossard et me dirige vers l’autobus qui nous amène vers la ligne de départ… à 38km de l’arrivée.

Confortablement assis dans l’autobus scolaire, la réalité me rattrape et me frappe en plein visage. L’organisateur nous annonce :

« En 8 ans d’existence, ce sont les pires conditions que nous ayons connues. Il y a de la boue, vous en aurez parfois jusqu’aux cuisses, c’est glissant et dangereux. Et soyez avisés que le temps limite pour atteindre le 26e km sera de 5 heures. Les retardataires seront automatiquement exclus. Donc soyez prudents et réalisez qu’aucun record ne sera battu aujourd’hui Bonne course, nous sommes fiers de vous. »

XC Vallee 2015 - Karym departA ce moment, le doute s’installe et c’est à coups de grande résilience que je me dis – vas-y le grand, tu n’as rien à perdre. Mais plus l’autobus roule, plus je me rends compte ce que représente 38km. Après 35 minutes interminables, on sort de l’autobus, on se regroupe et attendons le signal de départ. 3, 2, 1… partez!!

Un début respectable

Les dix premiers kilomètres se déroulent bien. Voulant m’assurer de ne pas être exclu, j’amorce la course dans le premier tiers, à une vitesse raisonnable, respectant mon programme. C’est en 1h30 que je rejoins le premier poste de ravitaillement, en forme. Le cartésien en moi ne peut s’empêcher de calculer : 10km = 1h30, 38km = 6h00. PARFAIT !!! En plein dans la moyenne annoncée par les organisateurs.

La suite ou comment perdre le focus

La relance après le premier ravitaillement s’amorce bien mais contrairement à la section précédente, je cours en solo. Pas grave, j’aurai ces moments de solitude dans le désert. Mais au fil des kilomètres, je ne porte pas attention à mon alimentation, omettant de prendre mes gels et dattes. Je contrevenais à la règle de base en course : s’en tenir au plan, rigoureusement. Mon arrivée au 2e ravitaillement ne fut pas agréable. J’aurais dû prendre le temps de me reposer, de prendre mes gels. Mais non, je voyais le temps filé et me voilà reparti. Erreur!!! L’idée d’abandonner me traverse l’esprit, gracieuseté des « étangs » de boue que l’on doit traverser. De la boue, il y en a et elle est profonde. Plus j’avance, moins j’ai le goût de continuer; perds l’équilibre ici, tombe sur le postérieur là-bas, tout y est. Heureusement, je croise François, coureur fort sympathique, avec qui je cours en tandem jusqu’au 3e point de ravitaillement. Nous avons un point en commun : arrivé avant la limite des 5 heures. C’est finalement aux cris d’encouragement qu’on croise le 3e ravito après 4h35 de course (… et de marche!). YESSSS!!! On pourra terminer cette course, de bout en bout.

Une fin exécrable

Après 10 minutes au ravito, je reprends ma course seul, François étant parti une minute avant moi. En fait, ce fut plus une marche car les 4 premiers kilomètres de cette dernière portion de 11km sont de la pure ascension. XC Vallee 2015 - ParcoursC’est là aussi que le coup de grâce m’est porté. Écœuré, frustré, découragé, j’en veux à la Terre entière. Je commence à comprendre ce qui m’attend : ces 11 derniers kilomètres, que je devrais normalement courir en 50 minutes sur un parcours plat, vont me prendre plus de temps. Beaucoup plus de temps. Pire encore, au rythme où j’avance, il faut que j’oublie un temps d’arrivée en 6 heures. Je ne fais que marcher, dans la boue de surcroît, et contre mon gré. Comme si ma course s’était terminée au 26e kilomètre, là où le temps limite de 5 heures nous avait été annoncé. Qu’à cela ne tienne, je me jure qu’au moins, je ne vais pas m’arrêter. Je marche, je trottine, jusqu’à ce que j’atteigne le sommet et c’est là que je rejoins François. ESPOIR!! J’entame donc la descente finale des 4 derniers kilomètres. La volonté y est mais le corps ne suit plus et voyant le danger sur les parois escarpées, je me rappelle qu’une blessure ne vaut pas les quelques minutes de moins au chrono. C’est ainsi que François a pris de l’avance et que j’ai dû compléter ma course, seul, essayant de comprendre ce qui s’était passé, maugréant tout au passage. Résultat final : 37 km en 7h03. 92e place sur 168, incluant 52 abandons.

La conclusion… et le renouveau

XC Vallee 2015 - Karym arriveeAprès avoir traversé la ligne d’arrivée, je m’offre quelques verres d’eau et Gatorade et surtout, une place assise, amplement méritée après 7 heures de déplacement continu. Je prends le temps de regarder autour de moi, de voir ces gens souriants, malgré tous les efforts déployés, hommes et femmes de tout âge, une belle communauté, sans prétention. Et voilà qu’on présente les podiums pour mon épreuve : 5h30 chez les femmes et 4h13 chez les hommes. C’est à ce moment que j’ai compris: j’ai échoué, échoué à atteindre mon objectif. Peu importe les excuses que je trouverai, peu importe qui ou quoi je pouvais blâmer, j’ai échoué. Mais en aucun moment, j’ai abandonné. Jamais. Et ça, c’est ma récompense. Et en voyant ces athlètes debout sur le podium, portant fièrement leur médaille, je me suis dit que c’était possible, qu’eux avaient réussis, et que même si j’avais échoué, j’allais  apprendre  de cette expérience et faire en sorte de m’améliorer. Je me suis rappelé l’article qu’une marathonienne que je respecte beaucoup venait d’écrire sur sa plus récente victoire – qu’elle a été obtenue après beaucoup de travail, de succès mais également d’échecs. C’est possible! Je n’abandonnerai pas malgré mon échec. C’est ainsi que je suis reparti vers mon camion le cœur léger, la fierté d’avoir terminé et… les jambes recouvertes de boue!

N’ayez pas peur d’échouer, vous ne pouvez pas toujours gagner. Mais n’ayez jamais peur de prendre des décisions. Et de grâce, n’abandonnez jamais. Relevez-vous et continuez.

20 réflexions sur “L’apologie de l’échec

    • Effectivement Richard – sur 167 participants au départ, 51 ont abandonné. Les conditions étaient horribles. Mais à tout malheur il y a un aspect positif: ça forge le caractère pour les épreuves subséquentes!

  1. Bravo papa je suis tellement fier de toi tu es un tres bon exemple pour quelq’un qui n’abandonne pas.t’es le meilleure

  2. D’abord, un vrai bon gros Bravo pour cet accomplissement. Ça demeure une épreuve de nombreuses heures que tu as réussie. Wow. Vous n’aviez rien pour vous question éléments extérieurs semble-t-il! Pas qu’on doive se chercher des excuses, mais la course et les éléments extérieurs sont indissociables. Et vous avez été servis sur ce trail en 2015.

    J’ai quelques réflexions à te partager à la lecture de ton texte. Elles sont très personnelles finalement, car elles concernent ton «mental» (celui que tu exprimes dans ce billet, je suis pas dans ta tête!), alors je te les envoie par courriel.

    Là, mission Récup! Encore bravo Karym.

  3. Merci Pascale! Effectivement, quelques jours après que la poussière soit retombée (… et la boue soit sèchée!), je me rends compte que tout n’était pas en notre faveur pour cette course 🙂

  4. Salut Karym,

    Quel beau récit et exemple de persévérance et de courage. Je t’admire de pouvoir réussir de tel exploit. J’ai enfin eu le temps de lire ton récit de La baie des Colombier a St-Barth sur notre nouveau voilier Nadara. Les derniers mois ont été stressant avec la combinaison départ en Floride, boulot, achat du bateau, etc….le meilleur est à venir je crois.

    Tu en as fait du chemin depuis que je t’ai connu….on sent bien ta démarche personnelle et intérieur….Bravo!!

    Je serai à Montréal fin septembre, ça serait cool de se voir.

    A très bientôt et lâché pas.

    Ps: j’ai une collègue qui fait ce genre de course qui est super sympa, je te mettrai en contact si tu veux

    Ciao

    Etienne Berthiaume
    Skype: etienne.berthiaume

    Sent from my iPad

    >

    • Salut cher ami – ça fait TROP longtemps!! Je vois que toi aussi, tu vis tes rêves: chapeau!! Ca me fera un grand plaisir d’aller prendre un verre avec toi à ton retour à la mi-septembre; fais moi signe. Un bonjour au reste de l’équipage!!

      Et merci pour tes bons commentaires sur le blog – c’est très apprécié.

  5. Karym – le fait que tu as terminé la course fait que j’ai du mal à dire que c’est un échec. J’ai abandoné un Ironman 70.3 Muskoka en 2014 parce que la course était « sold out » et l’endroit trop petit, donc aucun plaisir pour y participer. Depuis je me concentre sur des petites courses comme celle que tu viens de faire. Oui le temps est important pour se mesurer, mais « stresser » va contre l’esprit de la bible du trail running « Born To Run ». Be proud. Your family and friends are.

    • Merci beaucoup pour le commentaire positif. Effectivement, j’étais fier d’avoir compléter la course, malgré l’adversité du parcours. Je crois que lorsque j’ai décidé de ne plus fixer mon esprit sur le temps, c’est à ce moment que j’ai pu la compléter l’esprit plus léger!

  6. Super récit! Merci, ça m’a ramené à l’été passé. J’ai fait le 10 km et je peux facilement entrevoir ce que ça peut être quand on a fait les 26 km qui le précède, en fait non, je ne peux pas, c’est difficile même sans les 26 premiers!

    Bravo! C’est l’état d’esprit qu’il faut pour faire un MDS! Bonne chance! 🙂

  7. L’apologie de l’échec, quel article intelligent et inspirant! Pour moi qui a relevé le premier défit sportif de ma vie au MDS (tu m’auras peut être reconnu, je suis Carole, la doyenne des canadiennes), te lire me parle d’un monde auquel je n’aurais jamais cru avoir accès. On dit qu’il n’est jamais trop tard…!
    Tu as une magnifique phylosophie de vie, lâche pas, tu vas toujours grandir et inspirer les autres qui auront la chance de te croiser sur leur chemin.

    • Merci beaucoup Carole, je suis flatté! Effectivement, la réussite de grands défis passe parfois par des échecs; c’est à nous de savoir comment se relever, apprendre et poursuivre notre chemin. Je te souhaite plusieurs autres courses 🙂

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